Notre blog
Au bon endroit avec RPAQ
Publié le 31 janvier 2023
Le blogue « Au bon endroit » présente une série d’articles du projet COM-Unity mettant en vedette des conversations avec nos partenaires. Au cours de chaque conversation, nous tentons de mieux comprendre comment l’appartenance prend forme au sein de leurs communautés. Nous cherchons aussi à comprendre l’influence que les lieux que nous habitons exercent sur nous, et comment nous les influençons à notre tour.
Partie 6: Préserver toutes les histoires
avec Heather Darch, coordonnatrice du projet Belonging au Réseau du patrimoine anglophone du Québec (RPAQ)
dans le cadre du projet d'appartenance et d'identité 2020-21 du QAHN par le biais de COM-Unity !
COM-Unity : Si vous avez déjà lu notre blogue, vous savez que nous aimons commencer nos entrevues par quelques notions géographiques. Je sais que le RPAQ est un réseau, mais pouvez-vous nous décrire brièvement ce à quoi ressemble l’endroit où le RPAQ est principalement situé?
Heather Darch : Le siège social du RPAQ est situé à Sherbrooke, plus précisément dans l’arrondissement de Lennoxville, au bout de l’avenue du Collège, à un jet de pierre de l’Université [Bishop’s]. C’est un environnement très agréable. Il y a beaucoup de jeunes qui s’y promènent; c’est une communauté résolument bilingue. Le RPAQ – qui existe depuis plus de vingt ans maintenant – a toujours eu son siège en Estrie. C’est un endroit qui se prête bien aux activités du réseau. Toutefois, nous sommes très conscients qu’il s’agit d’une organisation d’envergure provinciale. C’est pourquoi nous nous efforçons de tenir nos assemblées annuelles chaque fois dans un lieu différent et nous assurons que notre publication – Quebec Heritage News – est diffusée à la grandeur du Québec.
L’édifice où sont situés nos locaux est en lui-même assez intéressant : c’est un immeuble où logent de nombreux groupes qui offrent des services à la communauté anglophone. Ce sont de nouveaux bureaux; ces groupes communautaires y ont emménagé il y a quelques années seulement. Tous se trouvaient dans le même immeuble auparavant, et tous ont déménagé les uns après les autres dans le nouvel édifice. Il existe donc un sens très fort de la communauté au sein même de l’immeuble!
C-U : Attendez! Vous me dites que ces organismes communautaires se plaisaient tellement d’être ensemble dans le même édifice que quand est venu le moment pour un d’entre eux de déménager, tous s’en sont allés en même temps?
HD : Mêmes groupes, mêmes bureaux – tous ont adopté le même nouvel immeuble pour s’y établir! Leur ancien édifice – endommagé par l’eau et les moisissures – était devenu vétuste. Ils ont repéré ce nouvel endroit et y ont tout simplement emménagé ensemble.
C-U : Voilà un témoignage qui démontre bien la valeur de la communauté! Ce qui me frappe le plus, c’est que cela ressemble à une mini-version de ce que vous faites à l’échelle provinciale, c’est-à-dire jeter des ponts entre les organismes anglophones. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les groupes qui forment le réseau?
HD : C’est un réseau intéressant, en ce sens que les groupes qui le constituent sont très variés – issus de traditions culturelles différentes, de milieux différents, et de régions différentes. Certains de ces groupes sont composés d’anglophones qui vivent au Québec depuis longtemps. D’autres se sont établis ici à dessein, à la recherche d’emploi ou pour des raisons économiques. Nombre des groupes qui font partie du réseau représentent aussi des communautés qui sont en voie de disparition – peut-être que les anglophones qui les ont créés sont partis s’installer autre part, ou encore que les jeunes qui en faisaient partie sont allés étudier ailleurs et ne sont jamais revenus. Il existe chez ces gens un sentiment de perdre leur passé. Par conséquent, beaucoup de ces groupes se sont formés afin de préserver ce passé, de raconter l’histoire de celles et ceux qui ont fondé l’endroit, ou qui ont tissé des liens avec les Premières Nations qui s’y trouvaient. L’origine de certains groupes remonte à très loin dans le temps, particulièrement le long de la côte gaspésienne. Vous savez? Tenter de préserver l’histoire afin de pouvoir la raconter, c’est aussi avoir le sentiment de s’accrocher à quelque chose qui nous échappe.
C-U : Si je comprends bien, les gens éprouvent un sentiment d’urgence à l’idée que ces pans de l’histoire anglophone régionale disparaissent pour de bon. Selon vous, quelles sont certaines des conséquences que pourrait avoir la perte de ces trames historiques?
HD : Parce que je suis issue du milieu muséal, la culture matérielle est pour moi une constante préoccupation – et cela inclut les lieux extérieurs et les bâtiments. Par exemple, nous assistons actuellement à la fermeture de nombreuses églises, parce que la communauté anglophone est en train de s’effriter, et que notre société est de plus en plus laïque. Or, ces églises ont été bâties par les familles, et tristement, chaque fermeture est un pan d’histoire qui disparaît. Qui fréquentait ces églises? Qui sont celles et ceux qui y ont été baptisés ou qui s’y sont mariés? Leurs pierres tombales se désagrègent… et les milliers d’automobilistes qui passent devant ne s’en soucient pas. Toutefois, à l’intérieur de chaque cimetière se cachent des histoires extraordinaires à propos des gens qui ont vécu aux alentours. À mon avis, quand on perd ces histoires, on perd aussi le sentiment d’appartenance à une communauté ou à une région. Puis, on cesse de s’en préoccuper. Ce sentiment de « c’est ici que ma famille a toujours vécu » n’y est plus.
En tant qu’historienne, tout cela a pour moi une très grande importance. Sur le plan de la culture matérielle, non seulement nous perdons concrètement ces lieux, mais aussi leur esprit. Même les noms que nous utilisions pour les désigner sont en train de changer. Évidemment, certains membres de Premières Nations nous diront qu’avant même notre arrivée, ces endroits portaient un nom différent. Maintenant plus que jamais, nous nous efforçons de réfléchir à cette histoire et tentons de nous souvenir de ce qu’il y avait avant, afin que nous puissions mieux comprendre qui nous sommes aujourd’hui, que nous puissions mieux vivre côte à côte et respecter la culture de l’autre.
C-U : En résumé, sur une plus grande échelle, préserver le patrimoine et l’histoire, c’est entretenir une riche pluralité de trames narratives sur l’histoire du Québec. Toutefois, à l’échelle de l’individu, il s’agit plutôt de préserver le sentiment d’appartenance à un certain lieu. Parlons donc de ce sentiment d’appartenance, qui est au centre de votre projet COM-Unity (le projet Belonging) dans le cadre duquel vous accordez des microsubventions à des groupes de défense du patrimoine anglophone à l’échelle du Québec. Pouvez-vous nous donner des exemples des initiatives subventionnées?
HD : Cette dernière année a été excellente. Nous avons accueilli au sein du RPAQ plusieurs groupes qui n’avaient jamais manifesté le désir de devenir membres du réseau auparavant. Nous comptons aussi désormais comme membres des groupes communautaires dont nous ignorions complètement l’existence! Par exemple, le musée Whiteley, situé à Bonne-Espérance. Les responsables du musée travaillent actuellement à la création d’un court-métrage documentaire sur le mode de vie de la population côtière de Rivière-Saint-Paul, particulièrement sur la pêche à la morue et son évolution au fil du temps. On y relate l’existence d’un tout petit regroupement d’anglophones le long de la côte – c’est extrêmement intéressant, à notre avis.
Il y a aussi le Rang Collective: Arts for Solidarity. Ce collectif travaille à la création d’une exposition virtuelle intitulée Postcards from Home: The Legacies of Partition in Quebec, dont le propos est axé sur la partition des Indes – une période de grand bouleversement politique. À la suite de la partition, beaucoup de gens de l’Asie du Sud ont immigré au Québec pour se construire une nouvelle vie. On y décrit comment les familles se sont établies – il s’agit d’une époque de l’histoire récente. Bon nombre de ces familles immigrantes comptaient des médecins et des professionnels qui, une fois rendus ici, ont dû ouvrir des restaurants pour survivre. Aujourd’hui, elles élèvent une nouvelle génération de Québécoises et de Québécois qui parlent anglais et [hindi] ou [ourdou].
Autre exemple de projet – celui de la congrégation Shaarey Zedek [une synagogue située à Montréal] et des Archives juives canadiennes Alex-Dworkin. La synagogue possède une collection imposante de photos et de documents d’archives qu’elle souhaite transmettre aux Archives Alex-Dworkin. La congrégation entend en outre mettre sur pied une visite pédestre dans la communauté entourant la synagogue et partager de l’information avec les universités McGill et Concordia. L’objectif de cette initiative consiste à élargir les connaissances à propos de la communauté qui vit dans cette partie de l’arrondissement Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce.
C-U : Pour clore cette conversation, j’aimerais vous poser la question suivante : bien que la notion de patrimoine soit associée au passé, elle concerne tout autant le futur. À votre avis, qu’espère accomplir le RPAQ pour l’avenir du Québec anglophone?
HD : Nous pensons constamment à l’avenir. Nous observons en effet que l’effectif des groupes membres du réseau est de plus en plus âgé, et nous nous demandons d’où viendra la relève. Nous nous interrogeons toujours à savoir comment inclure les jeunes dans nos activités. Je crois que la réponse réside dans le potentiel de raconter des histoires – afin que les enfants puissent prendre conscience que l’histoire peut être très divertissante; pour qu’ils se disent « Je veux en savoir plus! »
Le Québec est une courtepointe faite d’une multitude de groupes culturels. Alors, si vous ne racontez pas l’histoire dans sa totalité, vous passez à côté de toute une richesse. Autrement dit, si vous tentez de fabriquer une courtepointe à partir de tissus dont la trame est très mince, il sera difficile d’en assembler les pièces si vous ne racontez qu’une petite partie de l’histoire.
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Vous trouverez des informations sur le projet de 3e année de RPAQ sur le site de COM-Unity, ici, ainsi que sur le site du RPAQ, ici.
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